Martin le pêcheur
Au bout de notre jardin, sous une longue trouée végétale, coule La Sinope, une charmante petite rivière, qui chantonne à longueur de journée, sur son lit de cailloux.
Les soirs d'été, vers dix-huit heures, si vous restez bien sagement près de sa berge, à coup sûr, vous verrez passer Martin le pêcheur. Lorsqu'il revient du marais et remonte le cours de l'eau pour rejoindre son nid, je perçois les quelques notes brèves et perçantes de son cri.
Il y a plus haut, en amont, dans le parc du château, des berges escarpées. Il a du, je présume, y creuser son terrier, à l'abri des regards indiscrets. Les jours de chance il m'arrive de l'entrevoir à travers la feuillée des saules et des aulnes, zigzagant entre les obstacles, vif comme un éclat d' acier bleu, il zèbre la surface sombre de l'eau.
Parfois, au moment le plus inattendu, il nous fait le plaisir d 'arrêter sa course, il se pose sur une grosse pierre, au milieu du courant, presque à portée de main, explorant sans vergogne par la porte ouverte, l'intérieur de la maison.
Son arrivée écourte les conversations, les regards se tournent vers le chatoiement de ses camaïeux de bleus, de gris et de verts, irisés par le moindre de ses mouvements. Dressé sur ses courtes pattes, l’oeil rond, son bec noir levé, la pointe en l'air: il nous regarde pendant quelques secondes; arborant à la cantonade sa gorge blanche et son large jabot brun-orangé, avant de reprendre sa course.
Je me suis mis à l’affût des dizaines de fois pour essayer de le photographier: je l’ai poursuivi en plusieurs occasions dans le marais, jusqu'à la mer: il m’a toujours filé sous le nez.
J'ai interrogés des pêcheurs sur sa présence: ils m'ont tous raconté la même anecdote. Un jour ou l'autre un martin-pêcheur est venu se reposer un instant sur leur canne à pêche, les dévisageant effrontément.
J'étais résigné. J'avais presque fait mon deuil du beau cliché dont rêve tout photographe amoureux des oiseaux.
Mais un jour: alors que je travaillait à quelques mètres de la rivière, à relever un mur de soutènement écroulé pendant l’hiver, miné par le ruissellement des eaux. Me donnant un peu de repos, je m’étais assis, le dos au mur, sur un des gros moellons que je remuais depuis le matin.
Je me retournais,... il était là!
Perché au-dessus de l’eau, sur la branche basse d’un saule mort. Depuis combien de temps était-il dans mon dos? Ce foutu zoziau: que je poursuis depuis des années, était là, à cinq mètres de moi, il me regardait m‘échiner à remuer mes blocs de pierres. Pff...!
Bien sûr mon appareil photo était à la maison. Bah! Ce n’est pas la fin du monde, autant profiter de l’instant présent.
- Tu sais que tu es beau toi?
Un gazouillement inattendu me répondit. Je continuais:
- Je t'en prie y'a pas de quoi!
Mon "Alcedo atthis", comme l'appellent les ornithologues, n'avait pas l'air pressé de me quitter. Méticuleusement, il passait son bec dans son plumage, grattant, lissant, il remettait ici et là de l'ordre dans sa toilette. Gonflant ses plumes, le cou replié dans les épaules, il faisait glisser sur son oeil une membrane grise, donnant l'impression de vouloir dormir.
L'instant d'après, la tête pencher il scrutait le fond de l'eau, un mouvement de bon aloi, sans doute, lui ayant laissé subodorer l’ éventualité d’un repas. Un alevin imprudent peut être? Plusieurs fois il se laissa tomber dans l’eau, s’ébrouant quelques secondes à la surface, avant de regagner sa branche ou il reprenait indolemment sa toilette.
Une fois ou deux il partit vers une petite anse creusée dans la rive d’en face, à un endroit où l’eau est plus calme. Il se mit à battre des ailes sur place dans un vol stationnaire qu’on appelle Saint-Esprit#. Ce genre de vol est assez commun chez les faucons Crécerelle lorsqu’ils chassent, il en est de même pour les martins-pêcheurs.
Après un certain nombre de plongeons infructueux, il ressortit enfin de l’eau tenant un poisson dans son robuste bec. J’avais d’abord cru que sa proie était une truitelle, mais les taches noires sur le corps étaient plutôt celles d’une loche, elles pullulent sous les grosses pierres.
A plusieurs reprises il essaya en vain de l’assommer sur la branchette ou il se trouvait, n’y arrivant pas, il revint sur la grosse branche du saule, et là, tenant sa victime par la queue il commença méthodiquement à la frapper sur le bois, jusqu‘à ce qu’elle ne bouge plus.
Dans un mouvement de tête digne d’un jongleur il lança plusieurs fois en l’air le poisson mort jusqu’à ce qu’il lui retombe la tête la première dans le bec, en deux mouvements de mandibules il avala son repas.
Spectaculaire!
Ce petit oiseau, si beau, est un tueur.